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Intervention publique

"L’heure de la régulation a-t-elle sonné ?" : allocution de Roch-Olivier Maistre à Médias en Seine le 8 octobre 2019

Publié le

« L’heure de la régulation a-t-elle sonné ? »

Médias en Seine - Studio 104 de la Maison de la radio - 8 octobre 2019

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs,

Merci à tous de votre présence, et merci aux organisateurs de m’avoir invité à ouvrir ce matin la programmation du studio 104, en répondant à cette question que vous avez choisie pour thème : « L’heure de la régulation a-t-elle sonné ? ».

Merci à « France info » et « Les Echos » d’avoir convié le CSA, ainsi, à cette deuxième édition de « Médias en Seine » - le festival des médias de demain. Une riche journée de débats et d’échanges qui sera l’occasion, cette année encore, d’explorer le futur du secteur.

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Face à la transition numérique, face aux nouveaux formats et aux nouveaux usages, cette réflexion est d’autant plus cruciale, à mes yeux, que la notion même de « médias » est en mutation. Et les contours du secteur correspondant sont encore loin de se dessiner avec netteté. Il y a quelques années, on pouvait encore dire que l’éditorialisation signait le média, et que le support – écrit, parlé, filmé – précisait son type. Mais la convergence des médias s’est imposée : c’est ce qu’on a pu appeler le « média global », omnicanal.

Et surtout, la notion de média s’est, en quelque sorte, « disséminée », pour reprendre une formule de Nicolas Curien, membre du CSA. Chez les jeunes en particulier, l’accès à l’information passe, de plus en plus, par de nouvelles voies, plus collaboratives, plus participatives, dans lesquelles l’utilisateur n’est pas un récepteur passif. Ce sont les plateformes de contenus et les réseaux sociaux. En l’état actuel du droit, ces opérateurs ne sont pas des éditeurs, des médias au sens historique du terme. Mais, en pratique, ils ne peuvent véritablement être regardés comme de simples hébergeurs, en raison de leur fonction « d’ordonnancement » des contenus, certains disent « d’accélérateurs » de contenus.

Ce n’est pas un simple enjeu de terminologie, ou un inoffensif débat d’experts car, du point de vue des pouvoirs publics français et européens, ces évolutions soulèvent de nombreuses interrogations concrètes.

Historiquement, le CSA était l’organe de régulation des médias audiovisuels, des médias linéaires. Mais, au vu de l’évolution du paysage, le législateur a étendu nos compétences. Depuis 2009, nous nous intéressions déjà aux services de médias audiovisuels à la demande (les SMAD), ces services qu’on dit aujourd’hui « non linéaires ». Prochainement, nous aurons en charge les plateformes de vidéo à la demande, les Netflix, Amazon Prime, Disney bientôt, afin qu’elles prennent elles aussi leur part du financement de la création audiovisuelle et cinématographique. Et, au-delà, avec la lutte contre la propagation des infox et des propos haineux, les textes – européens et français – nous demandent désormais de nous intéresser aussi aux plateformes de partage de vidéo, comme YouTube ou Dailymotion, et plus généralement aux plateformes de contenus et aux réseaux sociaux – les Facebook, Twitter, Snapchat, etc.

Incontestablement, de ce point de vue-là, l’heure de la régulation a sonné. Le projet de loi audiovisuelle, que le ministre de la culture a transmis la semaine dernière au collège du CSA, afin qu’il émette un avis à son sujet, en est probablement le meilleur symbole. Ceci dit, il ne faut pas dissimuler l’ampleur de la tâche, tant sont importants les défis à relever, face à ces nouveaux territoires de la régulation.

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Mais si l’on peut dire, aujourd’hui, que la régulation a sonné, ce n’est pas seulement pour cette raison. C’est aussi parce qu’en ce qui concerne les médias audiovisuels eux-mêmes, le métier historique du CSA, l’heure de la régulation a sonné.

En le disant devant vous ce matin, je mesure toute l’incongruité de cette affirmation. Dire cela, en 2019, peut même faire figure de provocation !

Une provocation parce que la régulation des médias audiovisuels est, en France, l’une des plus anciennes formes de la régulation. Il suffit de penser que le premier organe de régulation de la radio et de la télévision – la Haute Autorité – a été installé à quelques mètres d’ici, au studio 103, le 31 août 1982, par le président François Mitterrand. Et nous avons fêté ici même, il y a quelques mois, le 30e anniversaire du CSA avec le Premier ministre Edouard Philippe.

Une provocation, aussi, parce que cette régulation – sans conteste – n’a pas démérité, en accompagnant le formidable développement des médias audiovisuels dans les dernières décennies, ou en assurant la contribution de ces médias aux différents objectifs fixés par la loi, fondatrice, du 30 septembre 1986 – des objectifs d’ordre démocratique (la garantie du pluralisme), culturel (le soutien à la création) et sociétal (la protection de l’enfance, l’égalité entre les femmes et les hommes, la juste représentation de la diversité de la société française et de ses territoires).

Non, si l’heure de la régulation a sonné, c’est parce que cette régulation des médias audiovisuels, mise en œuvre par le CSA, utilise aujourd’hui pleinement l’ensemble des outils de la régulation, contrairement à ce qu’on peut parfois penser.

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Le fait est que, dans les dernières années, le CSA a acquis, souvent involontairement, une relative notoriété. Certaines séquences de radio ou de télévision ont défrayé la chronique et occasionné des saisines massives du grand public – c’est l’expression rituelle « que fait le CSA ? ». Rares en proportion, ces épisodes, très largement commentés, ont contribué à réduire le CSA à sa mission de gardien de la déontologie des programmes. Et, de ce fait, la loi du 30 septembre 1986, que j’évoquais à l’instant, est perçue comme instituant essentiellement une forme de contrôle administratif des contenus audiovisuels. C’est une vision qui est très présente, aujourd’hui, chez les défenseurs des libertés – je pense notamment au tout récent ouvrage de François Sureau, Sans la liberté.

Une vision, à vrai dire, assez déformée. Pour avoir participé à l’élaboration de la loi du 30 septembre 1986, je crois pouvoir dire que cette loi est, d’abord et avant tout, une loi de liberté. Son article 1er pose le principe de la liberté de communication, dans le prolongement de l’article 11 de la Déclaration de 1789. L’objectif n’était certainement pas de créer un censeur, de défendre un quelconque ordre moral ou de brimer les humoristes, comme je l’entends parfois.

Entendons-nous bien : les médias audiovisuels ont des responsabilités, au titre de cette loi, comme ils en ont également au titre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui est au cœur du pacte républicain. Lorsque, sur les antennes, les limites que la loi pose à la liberté d’expression sont franchies, les auteurs des propos doivent en répondre devant les juridictions pénales. L’actualité récente nous en donne des exemples. Et, comme je l’ai indiqué à de nombreuses reprises, les chaînes doivent également en assumer les conséquences devant le CSA, qui peut être amené à faire usage de son pouvoir de sanction, sous le contrôle toujours vigilant des juridictions administratives.

Ce que je veux simplement dire, c’est que cette dimension à proprement répressive de la régulation ne représente qu’une partie de l’activité du CSA. J’ajoute qu’en 2018, le collège du CSA n’a prononcé en tout et pour tout que deux sanctions et 56 mises en demeure, qui ne portent d’ailleurs que très rarement sur des propos tenus sur les antennes (la plupart du temps, c’est le non-respect d’obligations déclaratives qui est en cause).

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Cette mission de gardien de la déontologie des programmes ne doit pas faire oublier, en effet, les autres missions de régulation qui sont celles du CSA.

Comme dans tout secteur régulé, ces missions correspondent notamment à des régimes d’autorisation et de conventionnement – notamment lors de l’attribution des fréquences qui est, pour les médias hertziens, gratuite en contrepartie des diverses obligations mises à la charge des opérateurs. Ces missions correspondent, aussi, à des régimes d’agrément lors des opérations capitalistiques.

Mais la régulation, et j’insiste sur ce point, ne se résume pas à la réglementation. Réguler, ce n’est pas seulement normer et ordonner.

Réguler, c’est aussi connaître : connaître un secteur et ses évolutions économiques. L’activité d’analyse et de recherche, qui s’est beaucoup développée ces dernières années, dans la foulée de la loi de 2013 qui a généralisé les études d’impact préalables, contribue directement à l’exercice des missions du CSA. Je n’en citerai qu’un seul exemple, l’étude sur les assistants vocaux et les enceintes connectées que nous avons présentée au printemps avec Hadopi, qui est une des toutes premières études sur le sujet. De manière générale, nul ne conteste plus, aujourd’hui, que la pertinence économique des décisions d’un régulateur est tout aussi déterminante que leur sécurité juridique.

Réguler, c’est aussi faire participer les opérateurs aux objectifs d’intérêt général qui sont ceux de la régulation. Depuis une dizaine d’années se sont ainsi développés les outils relevant du droit souples, qui reposent sur l’engagement volontaire des opérateurs. Grâce à l’implication des membres du CSA, pas moins d’une dizaine de chartes ont été signées, comme la Charte visant à lutter contre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité en 2018 ; en ce moment, nous préparons aussi une charte pour renforcer la représentation des personnes en situation de handicap sur les antennes. C’est une régulation plus partenariale, plus inclusive en quelque sorte.

Et réguler, enfin, c’est faire dialoguer les acteurs. Cela ne se limite pas au rôle d’arbitrage des litiges, dans le cadre des procédures formalisées de règlement des différends, sur lesquelles le collège du CSA se prononce. Lorsque des opérateurs s’opposent, il faut aussi contribuer à rétablir la communication entre eux, être un « facilitateur », comme l’a dit récemment un grand patron de l’audiovisuel – la professeure Frison-Roche parlait aussi de « produire de la confiance[1] ». C’est pleinement le rôle d’un régulateur et c’est, par exemple, ce que nous nous sommes efforcés de faire cet été dans le cadre des différends contractuels opposant les éditeurs et les distributeurs, au sujet des conditions de reprise des chaînes « gratuites » de la TNT et de leurs services associés (la télévision de rattrapage, notamment) sur les box des opérateurs télécoms.

Mais, sur ce plan, il nous reste beaucoup à faire, car trop de litiges entre opérateurs passent encore par la voie contentieuse, par le juge, alors qu’ils pourraient faire l’objet d’une médiation. C’est une situation que je déplore, et je souhaite que ce ne soit plus le cas dans les prochaines années. Mieux vaut toujours un bon accord qu’un mauvais procès !

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Vous l’aurez compris, et j’en terminerai par là : c’est parce qu’une institution collégiale telle que le CSA met aujourd’hui en œuvre l’ensemble de ces différents outils que, pour moi, l’on peut dire que l’heure de la régulation a sonné. Une régulation qui, comme l’a observé l’ancien président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, « tend, par des méthodes […] plus souple que la prescription et la contrainte, à inciter et à canaliser les comportements […] privés afin d’atteindre un équilibre et de garantir le fonctionnement [d’un] système complexe[2][…] ». Une définition dans laquelle, à titre personnel, je me reconnais pleinement, car le collège et les équipes du CSA sont les garants des équilibres du secteur des médias audiovisuels, des équilibres complexes et fragiles, entre la liberté d’expression et la protection des personnes, entre la liberté éditoriale des chaînes et les exigences du pluralisme des courants de pensée et d’opinion, ou encore entre les différents maillons de la chaîne de valeur qui permettent l’existence, en France, d’une création riche et diversifiée. Une mission, à tous égards, tout à fait passionnante !

Merci de votre attention.


[1] M.-A. Frison-Roche, « Pourquoi des autorités de régulation ? », in Club Ulysse, Le Politique saisi par l’économie, Économica, 2002, pp.271-285.

[2] B. Lasserre, Intervention devant les élèves de l’ENA, le 25 janvier 2019