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Intervention publique

Audition de Roch-Olivier Maistre par la commission d’enquête « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie » du Sénat

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Monsieur le rapporteur,

Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs,

Merci de votre accueil. Vous le savez, le Conseil a appelé à plusieurs reprises de ses vœux l’engagement d’une réflexion sur l’adaptation du dispositif anti-concentration prévu par la loi du 30 septembre 1986 pour l’adapter aux réalités du paysage audiovisuel. Nous l’avons évoqué dans nos avis sur les projets de réforme de l’audiovisuel, en 2019 (avis du 8 novembre 2019 sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique) et en 2021 (avis du 22 mars 2021 sur le projet de loi organique relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique), tout comme l’a fait l’Autorité de la concurrence dans son avis de février 2019.

Il s’agit d’un sujet complexe sur lequel un juste équilibre doit être recherché entre :

-           d’un côté, les logiques économiques et la nécessité d’accompagner nos opérateurs et nos industries culturelles dans leurs efforts d’adaptation aux transformations de leur environnement, face aux effets massifs d’une concurrence mondialisée qu’il est difficile d’ignorer aujourd’hui ;

-           et de l’autre, l’impératif de valeur constitutionnelle de préservation du pluralisme des courants de pensée et d’opinion, principe dont le respect est consubstantiel à notre débat démocratique.

Alors que cet exercice a souvent suscité plus de pétitions de principe que de propositions, le CSA ne peut donc que se réjouir que la représentation nationale se saisisse du sujet, tout comme les services de l’Etat. Pour essayer de simplifier le débat, je serais dans ce propos introductif bref enclin à distinguer :

-           d’un côté, les réalités actuelles et les tendances de notre paysage audiovisuel (I) ;

-           et de l’autre, la pertinence et les limites du dispositif anti-concentration actuellement en vigueur (II).

*

1. Quelles sont aujourd’hui les réalités et les tendances ?

1.1.         Quitte à surprendre votre commission, je dirai d’abord que le paysage audiovisuel est aujourd’hui infiniment moins concentré qu’il ne l’était au moment où le législateur adoptait, au sortir du monopole d’Etat, la loi du 30 septembre 1986. Que l’on en juge :

- En matière radiophonique, on compte actuellement dans notre pays plus de 1000 radios en métropole et outre-mer. Des radios publiques, privées, associatives, nationales, locales, généralistes, musicales. A cet univers aussi dense que diversifié s’ajoute désormais une infinité de web radios, dont l’écoute ne cesse de se développer en même temps que se diversifient les usages, les modalités de diffusion et les formats avec les enceintes connectées et assistants vocaux, le streaming musical ou encore le podcast.

-    La télévision n’est pas en reste. Avec 30 chaines nationales de la TNT et plus de 230 services conventionnés par le CSA pour une diffusion sur des réseaux non hertziens, l’offre a connu une indéniable expansion, que la généralisation des téléviseurs connectés (81 % des Français), la multiplication des écrans (5,6 par foyer), l’accès direct par Internet (40 % des Français) et le développement du streaming (9 M d’abonnés) ont amplifié massivement.

Près de 40 ans après son adoption, l’ambition de la loi du 30 septembre 1986 d’un paysage audiovisuel « ouvert à l'initiative privée et dans un climat de concurrence et de pluralisme » est largement atteinte : la diversité de l’offre et des sources d’accès au savoir, à la connaissance et à l’information n’a cessé de se démultiplier.

1.2.                   Est-ce à dire que le débat sur la concentration serait clos ? Je ne le crois pas. S’il est indéniable que le nombre d’opérateurs et de sources d’accès à l’information s’est élargi, des réalités historiques ou nouvelles s’imposent à nous aujourd’hui. J’en citerai trois illustrations.

-    En premier lieu, l’audience elle reste aujourd’hui concentrée sur un nombre limité d’éditeurs. On oublie souvent ces chiffres, s’agissant de la TNT, France Télévisions et TF1 ont ainsi capté en 2020 56 % de l’audience et TF1 et M6 72 % du marché publicitaire télévisuel. En radio FM, Radio France et RTL ont capté à eux deux 50 % de l’audience.

-    Ensuite, si le nombre d’éditeurs présents sur la TNT s’est élargi grâce aux procédures et aux dispositifs anti-concentration que nous mettons en œuvre le CSA, le nombre de nouveaux entrants (NRJ, Altice, l’Equipe, Lagardère, Vivendi, etc.) demeure relativement limité.

-    En troisième lieu et surtout, le développement de la sphère numérique se caractérise désormais par la présence d’acteurs internationaux d’une puissance incommensurable sur les usages comme sur la chaine de valeur. Les spectaculaires mouvements de consolidation à l’œuvre aux Etats-Unis d’Amérique (Disney/Fox, Warner/Discovery, Amazon/MGM, etc.), avec des géants qui rivalisent sur le marché des droits audiovisuels, cinématographiques et sportifs bousculent à présent nos acteurs historiques privés comme publics.

Cette tendance à la concentration s’exprime aussi dans notre pays : rapprochements entre radios et télévisions depuis quelques années, reprise du groupe Canal Plus par Vivendi, reprise des chaines de télévision de Lagardère par le groupe M6, reprises de télévisions locales - mouvements nombreux ces dernières années - plus récemment, projet de rapprochement TF1/M6 et lancement d’une OPA de Vivendi sur le groupe Lagardère.

Le CSA est régulièrement mobilisé sur ces questions et mobilise les outils que le législateur lui confie.

 

2. Dans ce contexte, quels sont les atouts et les limites de notre dispositif anti-concentration ? Je voudrais sur ce point vous faire part de 3 convictions.

2.1.        Première conviction : malgré toute son importance, le droit commun de la concurrence ne peut à notre sens répondre à lui seul aux enjeux.

Le contrôle du respect du pluralisme se différencie de la pure approche concurrentielle : son objectif n’est pas seulement économique mais participe du fonctionnement démocratique et à la préservation de l’état de droit en garantissant que différents courants d’expression et de pensée puissent se faire entendre dans le débat public.

C’est pourquoi, il nous semble souhaitable de maintenir une régulation sectorielle assurée par le dispositif anti-concentration et une régulation concurrentielle. Ne tenir compte que du pluralisme d’un côté ou que du bien-être économique de l’autre, sans tenir compte des effets de l’un sur l’autre, serait dépourvu de sens. Ce serait même un recul. Aussi écartons-nous un scenario de libéralisation complète pour privilégier le maintien d’un dispositif anti-concentration spécifique. Je note d’ailleurs, je voudrais attirer votre attention sur ce point, que l’Union européenne s’inscrit dans la même logique, comme l’illustrent les grands textes en cours d’élaboration par la Commission européenne: je pense au DSA, ainsi qu’au projet porté par le commissaire Breton de Media Freedom Act qui s’attache à défendre la présence des médias sur le continent européen.

2.2                   Deuxième conviction : nombre de dispositions anti-concentration conservent aujourd’hui toute leur pertinence. J’en citerai 3 exemples.

-        D’abord, nous restons favorables au maintien des seuils mono-média (article 39 à 41) dans les prochaines années pour deux raisons : la diffusion hertzienne demeure le seul mode d’accès à la télévision pour un quart des foyers et cette télévision joue un rôle prescripteur majeur, notamment en matière d’information ce sont des millions de Français qui regardent le journal de TF1 ou de France 2 ; de plus, ces règles constituent des leviers d’action puissants sur le pluralisme en permettant par exemple de redistribuer les droits d’accès à une ressource publique rare  : les fréquences. Nous soutenons aussi le principe des appels réguliers aux candidatures pour l’attribution de fréquences et des obligations fixées par la loi, les cahiers des charges et les conventions conclues avec les éditeurs. Ces outils sont très précieux pour agir sur la structure du champ audiovisuel en permettant l’arrivée de nouveaux entrants et le renforcement du pluralisme.

-    Ensuite, le plafonnement à hauteur de 20 % des capitaux extra-européens pour les chaines de la TNT reste toujours pertinent à nos yeux, à l’heure où la question de la souveraineté culturelle et industrielle est au cœur du débat public.

-    Enfin, d’autres dispositions mises à jour récemment par le législateur gardent tout leur sens si l’on veut conserver un paysage pluraliste et diversifié : je pense aux seuils de population qui ont été relevés dans le secteur de la radio et de la télévision locale par le récent projet de loi audiovisuelle.

En revanche, il est permis de se demander si la limitation à 49 % du capital ou des droits de vote d’un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre que peut détenir une personne physique ou morale conserve son sens au regard de la réalité des entreprises. De la même façon, l’interdiction faite à un éditeur d’une autorisation nationale de détenir plus de 33 % d’un service local apparaît à l’expérience des trente années en grande partie inopérante.

2.3. Troisième conviction enfin : si nombre d’outils restent pertinents, le dispositif se heurte à certaines limites que le rapport Lancelot de 2005 avait déjà identifiées.

- D’abord, les règles actuelles toutes celles qu’on vient d’évoquer ont un périmètre limité aux seuls services diffusés par voie hertzienne, qu’ils proposent ou non de l’information et sans aucune distinction en fonction de leur impact de leurs audiences, les mêmes règles s’appliquent à tout le monde. Pourtant, la réception par Internet ne cesse de progresser, y compris pour la radio, et l’accès aux contenus emprunte désormais des voies multiples.

Dans ces conditions, le dispositif anti-concentration actuel ne couvre que partiellement la réalité de la consommation des contenus, qui transitent par d’autres vecteurs y compris les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et certains services de médias audiovisuels à la demande.

Par ailleurs, l’informationdisponible sur Internetest aujourd’hui maîtrisée par un nombre restreint d’intermédiaires, qui référencent des contenus dans des conditions parfois opaques. De même, les règles applicables à la presse écrite ne prennent pas en compte des titres on le sait dont l’influence est pourtant significative.

Ainsi, le dispositif actuel se révèle en partie en décalage avec l’évolution des usages, des vecteurs et des supports et donc avec la diversité des offres.

-                Ensuite, j’arrive à ma conclusion, les seuils pluri-média (articles 41-1-1 et 41-2-1) nous paraissent s’éloigner en partie de la réalité du paysage médiatique, en particulier avec la tendance qu’on connait qui s’affirme de plus en plus du principe affirmée du média global. Comme l’avait déjà souligné la commission Lancelot, je voudrais insister sur ce point, il faut, dans ce domaine, trouver un nouvel équilibre entre une approche quantitative fixée par la loi avec des seuils évoqués à l’instant et le règlement, et un pouvoir d’appréciation confiée de manière plus large au régulateur sectoriel. Celui-ci devrait pouvoir, au cas par cas, à l’instar de l’Autorité de la concurrence, déterminer les « remèdes » les plus appropriés pour répondre aux enjeux économiques et sociétaux d’une opération. Cela reviendrait à privilégier pour l’avenir et face à un univers en transformation toujours plus rapide une orientation visant à renforcer la capacité d’intervention du régulateur.

En tout état de cause, et quelles que soient les évolutions législatives à venir, la boussole du CSA demeurera celle confiée par le législateur : garantir la liberté de communication et assurer le respect du pluralisme des courants de pensée et d’opinion. Je vous remercie pour votre attention et suis désormais à votre disposition pour répondre à vos questions.