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Intervention publique

Discours de Roch-Olivier Maistre au colloque « Nouvelles régulations du numérique : Faire de l’Europe un espace d’innovation compétitif ! » le 26 novembre 2019

Publié le

« Nouvelles régulations du numérique : Faire de l’Europe un espace d’innovation compétitif ! »
Colloque Tech in France / Samman – Maison de la chimie – 26 novembre 2019

Seul le prononcé fait foi

Bonjour à tous, et merci aux organisateurs de leur invitation à cette matinée d’échange sur les nouvelles régulations du numérique, quelques jours avant la prise de fonctions de la nouvelle Commission, à la suite du vote de demain.

Après cette 2e table-ronde sur « libertés et confiance dans l’espace numérique : quelles nouvelles responsabilités ? », mon propos s’inscrira dans le sillage des débats qui viennent de se dérouler. Car ces débats sur l’équilibre optimal entre libertés et responsabilités font, en effet, directement écho aux missions que la loi confie au CSA – je vais y revenir.

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Schématiquement, en matière d’accès aux contenus, on peut distinguer plusieurs modèles d’articulation entre les libertés, d’une part, et les diverses responsabilités, d’autre part.

1. Le premier modèle, évidemment, c’est le modèle de la presse écrite. Avec une liberté d’expression qui n’est contrebalancée que par la seule intervention, a posteriori, du juge pénal. Lorsque les limites que la loi pose à la liberté d’expression sont franchies, l’auteur des propos et le directeur de la publication, c’est-à-dire l’éditeur, doivent en répondre. C’est le modèle de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui a remarquablement résisté au temps.

2. Le deuxième modèle, c’est le modèle des médias audiovisuels, qui s’est cristallisé en France dans les années 1980. On entend parfois que c’est un modèle antagoniste au précédent, mais il n’en est rien. En réalité, les lois de 1982 et de 1986 ne se substituent pas à la loi de 1881, elles la complètent. Elles ajoutent, en effet, un nouvel acteur, un tiers indépendant : le régulateur. C’est ainsi que le CSA fixe aux opérateurs de médias audiovisuels, qualifiés d’éditeurs, un certain nombre d’obligations qui poursuivent des objectifs d’ordre démocratique – pour assurer le pluralisme des courants de pensée et d’opinion – culturel – pour assurer le financement de la création audiovisuelle et cinématographique, autrement dit pour garantir l’exception culturelle – et sociétal – pour protéger la dignité de la personne humaine, garantir l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore la représentation de la diversité. Ces obligations sont contrôlées par le régulateur qui peut être amené, en cas de manquement, à sanctionner les éditeurs. Sous le contrôle toujours vigilant du juge administratif, naturellement.

C’est un schéma que nous pratiquons depuis maintenant plus de 30 ans au CSA et qui, me semble-t-il, fonctionne bien, grâce précisément à la responsabilité des opérateurs. Un schéma évolutif, puisque de nouveaux services de médias audiovisuels (linéaires et délinéarisés) ont été, progressivement, intégrés à ce modèle, qui n’est plus vraiment lié à la diffusion hertzienne. Demain, la transposition de la nouvelle directive « services de médias audiovisuels » (SMA) de 2018 permettra d’y intégrer les plateformes internationales de vidéo à la demande ; ce sera l’un des principaux enjeux du projet de loi audiovisuelle, qui sera présenté la semaine prochaine en conseil des ministres.

Mais il est clair que ce schéma ne peut marcher qu’en présence d’un nombre restreint d’opérateurs. Et ce modèle n’est pas adapté aux grandes plateformes de partage de contenus, aux milliards d’informations qui transitent par leur intermédiaire. C’est pour cela qu’une régulation qui serait bâtie sur ce modèle n’aurait pas beaucoup de sens, comme cette expression de « régulation d’internet » qui, en vérité, ne veut pas dire grand-chose.

3. Un troisième modèle, concernant les plateformes de partage de contenus et les réseaux sociaux, est donc apparu. Historiquement, on le sait, ce modèle s’est construit, au début des années 2000, sur le refus d’assimiler ces opérateurs à des éditeurs. Et, aussi, sur le refus de leur imposer une obligation générale de surveillance, dans le cadre de la directive « e-commerce », et de la LCEN de 2004.

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Mais ce modèle, incontestablement, est aujourd’hui en débat. En raison d’une double évolution, particulièrement visible ces derniers mois.

D'une part, une évolution très profonde des opinions publiques, qui sont aujourd’hui très loin des débats d’il y a vingt ans : on le voit dans la primaire démocrate aux Etats-Unis, par exemple. Au-delà d’épisodes très largement commentés, comme le terrible drame de Christchurch, les réflexions se multiplient sur la lutte contre la prolifération des infox, ou encore des contenus haineux. Comme j’ai souvent l’occasion de le dire : ce que l’on n’accepte plus, depuis longtemps, à la radio et à la télévision, on l’accepte de moins en moins sur les réseaux sociaux, par exemple.

Et, d’autre part, une évolution assez inattendue des opérateurs eux-mêmes. Certains en appellent même, à tout le moins dans leur discours public, à plus de régulation – nous nous en rendons compte au CSA, puisque ces opérateurs sont devenus nos interlocuteurs.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui s’impose progressivement l’idée que ces grands opérateurs ont, eux aussi, un certain nombre de responsabilités. Par leurs algorithmes de référencement et de recommandation, et l’ordonnancement voire la sélection des contenus qui en résulte, sans qu’une réelle transparence soit assurée, en l’état. Par leur rôle incontournable dans l’accès aux contenus, également ; ils supplantent de plus en plus les médias classiques, chez les jeunes en particulier.

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Face à cette évolution, les pouvoirs publics sont en mouvement, au niveau européen comme un niveau national. Je pense à l’adoption, en 2018, de la nouvelle directive SMA, qui soumet les plateformes de partage de vidéo à un certain nombre d’obligations, en matière de protection de l’enfance et de la jeunesse en particulier. 

Et, en France, je pense bien sûr à la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information de 2018. Cette loi a imposé aux principales plateformes un devoir de coopération avec le CSA dans la lutte contre la manipulation de l’information.

Concrètement, les opérateurs doivent mettre en œuvre des mesures visant à lutter contre la diffusion des infox : des dispositifs de signalement, principalement, mais aussi, par exemple, des obligations de transparence. Pour ce faire, le CSA leur adresse des recommandations, et nous dresserons un bilan au début de l’année prochaine.

Toujours en France, je pense aussi la proposition de loi relative à la lutte contre les contenus haineux sur internet, adoptée en 1ère lecture par l’Assemblée nationale, qui fait suite à une initiative législative allemande sur le même thème, en 2017. Et, naturellement, au projet de loi audiovisuelle qui prévoit de fusionner le CSA et l’Hadopi au sein de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’ARCOM.

Ce qui se dessine, à travers ces évolutions, c’est une transformation de ce troisième modèle, que j’évoquais à l’instant. Un nouvel équilibre entre des libertés auxquelles chacun reste très attaché, et des responsabilités incombant aux grandes plateformes, qui ne peuvent se désintéresser des contenus qu’elles propagent.

L’accent est mis, en effet, sur la responsabilisation de ces opérateurs. Une responsabilisation qui doit être à la mesure leur pouvoir de marché. Les plus importantes d’entre elles ont, en effet, un impact que l’on peut qualifier de systémique – lors du Conseil « culture » à Bruxelles, jeudi dernier, le ministre a parlé de « plateformes structurantes ». Ces grands acteurs sont appelés à mettre en place un certain nombre de mesures pour répondre à des objectifs d’intérêt général, les mêmes objectifs d’ordre démocratique, culturel et sociétal qui sont ceux de la loi de 1986.

Il s’agit d’obligations de moyens et de résultat, tournées vers une plus grande loyauté et une plus grande transparence. Des obligations placées, désormais, sous le regard d’un tiers neutre, d’un régulateur indépendant, parce que les dernières années ont montré les limites de l’auto-régulation qui prévalait jusqu’alors.

La vocation de ce régulateur est, en quelque sorte, de superviser les dispositifs et processus mis en place par les opérateurs eux-mêmes. C’est l’esprit du rapport très stimulant de la mission « Régulation des réseaux sociaux – expérimentation Facebook », remis au Gouvernement en mai, auquel a participé une experte du CSA. La régulation se fait aussi plus collaborative et plus participative, ce qui n’exclut pas, lorsque nécessaire, une approche plus coercitive.

Mais cette régulation demeure complémentaire de l’intervention du juge pénal, à laquelle elle n’a aucunement vocation à se substituer, et qui doit naturellement conserver son rôle dans l’appréciation des contenus eux-mêmes. Et, cette régulation, de même, doit rester au service de la liberté d’expression et de communication, qu’elle a pour objet de garantir.

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La mandature de la nouvelle Commission peut être l’opportunité de structurer ce nouveau modèle européen, cette nouvelle forme de régulation. Une régulation à l’européenne qui ne soit ni le laisser-faire qui prévaut actuellement aux Etats-Unis, ni le contrôle d’Etat en vigueur dans les pays autoritaires. Une régulation proportionnée et évolutive, qui soit aussi au service de l’innovation et de la concurrence. Une régulation qui articule, au mieux, le niveau européen et le niveau national.

C’est, me semble-t-il, l’un des enjeux du projet de Digital Services Act, qui pourrait rouvrir le débat sur l’alternative binaire entre les statuts d’hébergeur et d’éditeur, que beaucoup trouvent aujourd’hui datée. On sait encore peu de choses de ce projet, mais il peut permettre de conforter ce nouveau cadre de régulation, sans remettre en cause les acquis des directives « droits d’auteur » et « services de médias audiovisuels », qui constituent deux avancées importantes de la précédente législature européenne.

La Commission sortante nous a montré qu’en matière de régulation du numérique, l’Europe pouvait avoir de vraies ambitions. La nouvelle Commission doit poursuivre dans cette voie !

Merci de votre attention.